Ft. Nancy


Et j'étais là assise en tailleur au beau milieu de la salle de bain à attendre sagement une réponse de la part de ce maudit bout de plastique que je secouais dans tous les sens en priant pour qu'il ne m'annonce pas une mauvaise nouvelle. C'était plus fort que moi, mais depuis que j'avais fait cette découverte dans la chambre de la luxure et plus précisément dans l'une des valises de Graham tout en sachant que nous n'en n'avions pas utilisé, j'était totalement paniquée et ce bref retard d'un jour qui ne venait rien arranger me terrorisait encore plus. Pas besoin de me faire la morale, je savais pertinemment que j'avais fait une bêtise en couchant avec ce type sans aucune protection, mais comprenez que dans le feu de l'action, ni lui, ni moi même n'avions pensé à ce petit détail presque sans importance. Je devais avoir l'air bête à m’inquiéter pour rien, mais je préférais être certaine de ne pas avoir une brioche au four ou une quelconque maladie au nom totalement imprononçable. Enfin pour la maladie, c'était certain que je n'avais rien étant donné que je venais de passer l'après-midi à l’hôpital en exigeant que l'on m'examine de la tête aux pieds. En revanche, ne me prenant pas au sérieux une seule seconde, l'interne qui s'était occupé de moi, m'avait seulement donné un test de grossesse à faire toute seule comme une grande, devant toute l'Amérique entière par le biais de caméras plus perverses les unes que les autres. Un bruit de pas s'approchait, se faisant entendre un petit plus à chaque seconde que Dieu faisait. Prise de panique, je fourrais le test dans l'une des poches de mon jeans au moment même où la porte s'ouvrait. Je fermais les yeux, posant mes mains sur mes genoux, faisant mine de faire du yoga ou un truc dans le genre. J'ouvrais un oeil, posant une pupille sur une silhouette féminine et asiatique. Nancy. « Ah, c'est toi. » Ma voix était presque tremblante malgré l'assurance que je voulais lui montrer.

Jouer sur le canapé avec les coussins c’est marrant deux minutes mais ça devient vite lassant, surtout quand finalement l’objet finit propulsé à travers la pièce, à défaut de ne savoir viser, et que je me retrouve sans rien dans les mains. Un long soupire d’exténuation s’enchaina puis je me levais ; blasée par la vie. Prenant une orange dans la cuisine, je finis par hésiter à prendre sa jumelle pour me les foutre dans le soutif et faire ma pin-up. Mais nan, c’était naze comme idée, et puis vu l’heure je ferais plutôt mieux d’aller contempler ma collection de chaussures plutôt que de tourner en rond dans la villa telle une pie qui a mal au cul. Avant ça j’avais rendez-vous avec mes soins du visage et tout le tralala qui dure une heure minimum. Il faut savoir prendre soin de sa peau comme il faut vous savez. Bon ça n’allait pas être pour tout de suite. Je me stoppais net, prise au dépourvue par la situation qui se présentait à moi. Lennon assise par terre en tailleurs ; depuis quand elle fait du yoga elle ? C’était un peu se foutre de ma gueule là. J’en ai marre que cette fille me prenne pour une conne, le jour où j’aurais l’occasion de me venger elle allait prendre cher. Très cher. « Comme tu le vois, ouais. » Je roulais des yeux, l’ignorant j’allais vers le lavabo en l’esquivant et commença par me laver les mains. J’aurais bien fait une position de l’arbre signée d’une réflexion made in myself mais je sentais que la situation n’était vraiment pas propice. Habituellement ce n’est pas le genre de chose qui me dérange mais là … nan fallait que j’en sache plus. La garce de pacotille qu’était Lennon était certes à un niveau bien bas, mais pas au point de ne pas savoir maitriser sa voix. « Y a un soucis pour que tu fasses du yoga dans la salle de bain avec la larme à l’œil nan ? C’est pas ton genre de faire du sport. » Hé, on la fait pas à sexy Nancy ; Nanxy pour les intimes. Je la regardais via le miroir, mais il me fallait la voir en chair et en os. Pivotant, la brunette m'offrait pleine vue sur son dos. D'la balle. Maintenant j'hésitais. Je pouvais me montrer généreuse en allant me poser à côté d'elle pour lui montrer une position plus relaxante que le lotus, du genre l'acacia tordu mouliné. Mon cerveau réfléchit quelques secondes. Oh pis nan, elle méritait pas ça. J'en ai marre de me montrer clémente avec cette fille, merde!

Nancy était la dernière personne que j'avais envie de voir et je savais très bien que mon petit secret ne le resterait pas pas bien longtemps. J'observais la jeune femme du coin de l'oeil. Elle s'approchait du lavabo, commençait à se laver les mains avant de se tourner vers moi me jetant un regard suspect, presque noir. J'avais honte et instinctivement je ramenais mes jambes vers moi, tout contre ma poitrine, mes jambes que j’encerclais de mes petits bras frêles. Je venais poser mon menton sur mes genoux alors que je continuais à l'observer et qu'elle faisait de même. Mes mains tremblaient et je n'arrêtais pas me pincer pour arrêter, pour qu'elle ne s'en rende pas compte. Sa présence me dérangeait et la nervosité commençait en monter, petit à petit, tout doucement, en moi. Sa voix mesquine s’élevait et je ne pouvait m'empêcher de lâcher un rictus moqueur, hypocrite. « Crois moi tu serais la dernière personne à qui je viendrais raconter mes soucis. » Je faisais des efforts depuis le début, mais le courant ne passait pas vraiment, pour ne pas dire pas du tout, avec cette pimbêche aux yeux bridés. Elle me donnait la gerbe à se prendre pour une fashion victim de première alors qu'elle s'habillait aussi mal qu'un sac de pomme de terre. Je trouvais Rosaline bien plus classe qu'elle, c'était pour dire. « Et puis si je n'ai plus le droit de me détendre maintenant, c'est le pompon. » D'un geste gracieux et délicat, je me levais, m'approchant du lavabo sans même me rendre compte quel'objet que je conservais dans l'une des poches de mon jeans tentait de s'échapper. Ouvrant l'eau, je passais un peu de liquide sur mon visage avant d'attraper ma brosse à dent que je venais garnir d'une pâte blanche senteur menthol. Elle continuait de m'observer, je pouvais sentir ses petits yeux de fouine posaient sur moi. « Tu compte me regarder encore longtemps là avec tes petits yeux de riz cantonais ? » Et je fourrais la brosse dans ma bouche avant de commencer à me laver les dents avec une telle énergie qu'au bout de dix secondes, même pas, j'en avais mal aux gencives.

Lennon se conduisait comme une gosse. Ses rituels étaient ceux d’une petite fille. Une petite fille inquiète, apeurée. En cet instant précis j’en venais même à me demander si elle n’avait pas eu une grande déception dans sa vie qui l’aurait traumatisée ; quelque chose lié à sa famille. J’y percevais une fillette livrée à elle-même ; peut-être l’origine de sa méchanceté forcée. On sait tous qu’au fond elle s’invente un égo surdimensionné et taille ses répertorie ses répliques avant de les lancer au grand public. « Menteuse, tu kiffes sexy Nancy. » Ok, auto-satisfaction là pour le coup, mais c’était super jouissif ; à parier que ça allait l’énerver. En même temps il en fallait assez peu pour qu’elle monte sur ses grands chevaux la donzelle. Ou devrais-je dire pour qu’elle monte sur Graham ? L’un ou l’autre c’est la même vitesse de toute façon. Appuyée sur le bord du lavabo en sa direction je l’observais se dresser et faire sa belle. Ridicule, elle était ridicule, mon regard qui la suivait tel un aimant pouvait le confirmer. « T’es aigrie parce que t’as jamais attrapé le pompon d’un quelconque manège j’suis sûre. » Et là je l’attendais ! Je l’attendais le moment où elle allait me sauter à la gorge comme une tigresse pour m’arracher les veines une à une ! Après deux petites interventions inutiles et puériles elle allait bien finir par craquer. Cependant lorsque mes yeux observèrent la pièce ils se posèrent sur un étrange objet qui avait pris la place de Lennon. Sans doute était-il tombé de sa poche sans qu’elle ne s’en rende compte, ça m’étonnerait qu’elle soit restée assise dessus surtout pour un soi-disant yoga. J’ignorais sa remarque, laissant planer un long silence alors qu’elle se brossait nerveusement les dents. Ce truc m’intriguait. Y prêtant plus d’attention, je l’identifiais enfin… et mes yeux s’arrondirent, tout comme je laissais ma mâchoire aller naturellement. Je connaissais très bien cet objet, par expérience personnelle. Dans certains cas l'utilisation de ce procédé est porteur d'espoir, dans d'autre c'est plutôt l'angoisse. Pour Lennon il était évident qu'elle n'était pas ravie du résultat. Puis bon utiliser un test de grossesse dans sa situation, ça craint grave. Discrètement je lui jetais un regard Lennon du coin de l’œil. C’est pas possible, cette fille était vraiment bête comme ses pieds ! Allant vers le sujet en plastique et ne le quittant pas des yeux je répondais enfin à mon interlocutrice. « Arrête de te croire plus intéressante que tu ne l’es, c’est pas toi que je regarde. » Me penchant pour le ramasser j’analysais le résultat et me tournais en sa direction, m’adressant à elle via le lointain miroir; le test entre les mains. Pour le coup là je ne savais pas trop quoi lui dire... c'était un peu délicat. En plus j'étais vraiment mal placée pour lui envoyer des mots de réconfort. Ou ds mots gentils tout court, elle m'exaspérait trop pour ça! « Tiens, si tu veux que personne ne soit au courant cache-le mieux que ça. » Waw. Ça arrache la gueule.

Alors que le silence s'installait entre nous, laissant de côtés les méchancetés, je pouvais l'observer statique, les yeux rivaient vers le sol. Cette nana devait être complètement folle pour rester des minutes durant à fixer le carrelage comme elle était en train de le faire, mais après tout je ne voulais pas la déranger de peur de la perturber et de causer du trouble à son cerveau, si toutefois elle avait un bien évidemment. Ses yeux balayaient la pièce une dernière fois avant qu'elle ne me fixe durant une bonne minute et quelques instants plus tard je ne pouvais plus me retenir, il me fallait parler et je ne pouvais pas m'empêcher de jeter de l'huile sur le feu en la qualifiant de riz cantonais tout en lui posant une question sur un ton des plus secs. Sa réponse ne se faisait pas désirer et j'apprenais qu'elle n'était pas en train de me regarder. La blague. Comme si j'allais croire que le rideau de douche, qui se trouvait derrière moi, pouvait bien l’intéresser. Un rictus moqueur venait franchir la barrière que formait mes fines lèvres alors que je jetais un bref coup d'oeil en sa direction. Je pouvais la voir se baisser et ramasser un objet qui gisait sur le sol, à mes pieds. Mon visage se transformait, passant de la confiance à la peur, devenant soudainement très pâle. Il s'agissait d'un petit bout de plastique se trouvant, quelques minutes auparavant, dans la poche de mon jeans et qui donc m'appartenait. Je jetais ma brosse à dent dans l'évier, ouvrant l'eau pour me rincer la bouche avant de me tourner comme une furie lui arrachant mon bien des mains. « Rends moi ça. » Et dire qu'elle avait vu le résultat avant moi. Ses mots me faisaient peur et lorsque mes pupilles se posaient sur l'objet je pouvais déjà sentir tout le poids du monde s’effondrer sur mes épaules. C'était impossible, il devait y avoir une erreur, une énorme erreur même. Pointant un doigt accusateur en sa direction, voilà que je venais la menacer d'une voix sèche et cassante: « Hors de question que tu en parles à qui que ce soit, j'espère que c'est clair. » Une nouvelle fois, mes yeux se posaient sur le test qui se révélait positif. J'en tremblais presque, ne sachant que faire. Et dire que cette bande de couillon m'avait traité de folle lorsque je m'étais présenté à l’hôpital ce matin même.

Je sais pourquoi le courant ne passe pas avec Lennon. Certes pour toutes les raisons citées précédemment mais surtout parce qu’elle n’écoute rien quand on lui parle. En fait elle dialoguait seule. Je venais de lui dire indirectement que je n’irais pas le cracher partout et là elle m’agressait pour que justement je ne fasse pas ma langue de vipère. Je m’étais tue lorsqu’elle m’avait arraché l’objet des mains, par respect, peut-être aussi par compassion pour elle. Mais là c’en était trop, j’imagine même pas quand elle sera enceinte de plusieurs mois, elle est déjà super chiante sans l’être vraiment. Si je me souvenais bien de mes cours de bio ce n’était même pas une petite graine à ce stade. « J’espère au moins que t’apprendras à ton gamin que pointer les gens du doigt c’est mal élevé. » Murmurant, je finissais finalement par lever les yeux au ciel et soupirer. Allez, montre-toi sympa Nancy. C’est pour mieux l’amadouer. « Tu sais tu n’es pas obligée de te montrer forte. C’est normal de se sentir abattue et d’avoir envie de l’extérioriser. » Bien que je ne la portais pas dans mon cœur mes paroles étaient compatissantes, ma voix raisonnait sincère. J’aurais pu la réconforter mais il était certain que ce n’était pas ma voix qu’elle voulait entendre sur ce disque ; et puis tant mieux. « Je suppose que tu préfères être seule. » Logique, c’est ce que j’aurais aimé aussi. Tournant les talons je m’apprêtais à la laisser seule.