Une semaine que le jeu avait commencé, et je m’apercevais tout juste que j’avais oublié quelques choses indispensables pour se divertir comme un mp3 par exemple. Ou encore des magazines. Et ça, c’était le pire du pire. Comment j’allais faire sans mes bouquins de fashionista ou les trucs people pouraves qui font passer deux heures de la journée aussi vite que toutes les Ariane que ce monde a pu connaître ? Conclusion, il fallait que je me rende chez le libraire. Là c’est bon, j’en avais marre de devoir me coltiner des personnes inintéressantes à longueur de journée ; pour seule distraction franchement c’est très léger ! Dès le matin je m’étais donc attelée à une petite marche jusqu’au libraire pour finalement être confrontée à une très mauvaise surprise. Rien de récent, que des trucs défraichis et puant le livre. « Excusez-moi monsieur mais vous n’avez pas de livres pour les gens branchés ici ? J’veux dire branchés à la modernité quoi. Parce que vos antiquités de l’an 60 JE M’EN BATS LES REINS ! C’est n’importe quoi ! Vous êtes libraire oui ou merde ?!» Aujourd’hui mes chaussures plates me réduisaient à mon petit mètre soixante-deux je n’en étais pas pour autant grand gueule. Je trouvais ça inadmissible et il fallait que ça se sache. Et pour ça, en plus des paroles, rien de mieux que des gestes ; et comme à mon habitude j’ai foutu un coup à la personne qui passait derrière moi. Peu importe, je m’excusais d’un bref « pardon » indifférent avant d continuer ma tirade.

Je cachais peut-être très bien mon jeu, mais s'il y avait une chose que j'aimais, que j'adorais, c'était de me perdre le nez dans un bouquin durant des heures et des heures. M'imaginer dans la peau de l'héroïne d'un roman était une activité que j'avais depuis mon plus jeune âge. M'évader dans une histoire que je ne pourrais jamais vivre était en un mot magique. Je ne savais pas combien de livres j'étais capable de lire en une semaine, mais je savais que le nombre était grand, voire même immense pour une personne dite normale. Depuis combien de temps j'étais dans cette librairie en train de dévorer une à une les pages du bouquin que je venais tout juste d'acheter ? Je n'en avais aucune idée, mais assez longtemps pour que je sois déjà en train d'entamer les derniers chapitres. Le calme était reposant, mais ne durait pas bien longtemps. Une voix familière s’élevait, criait, en plein milieu de la petite boutique. Curieuse, je me redressais, me levais pour voir ce qui pouvait bien se tramer. Nancy ? Tiens, comme ce n'était même pas étonnant. L'asiatique s'en prenait au propriétaire tout en gesticulant dans tous les sens afin de se faire mieux remarquer. Un sourire amusé sur les lèvres, je m'approchais avant d'être stoppé dans ma course par un coup de poing en plein ventre. Outch, elle avait de la force la petite crevette. J'en avais le souffle court et elle ne s'excusait presque pas. « Casse moi une côté je ne te dirais rien. » Je pestais me tenant la partie endolorie de mon anatomie. « Suis moi, dans le rayon là bas il y a des documents sur les vêtements, rien de bien actuel, mais tu pourrais faire l'effort de t'en contenter au lieu d'agresser ce pauvre monsieur. » L'attrapant par la main, je l’entraînais un peu plus loin, adressant un signe de la main et un sourire timide au libraire pour excuser le comportement de ma colocataire.

Continuant mon show de drama queen, j’ignorais la voix qui sonnait en bruit de fond lorsque, à ma grande surprise, mon corps fut tiré par une certaine force à l’autre bout de la librairie. Dans un premier temps je continuais d’aboyer sur le vendeur comme une harpie avec des mots tels qu’ « inadmissible », « intolérable », « ridicule » et j’en passe. Puis mon regard s’intéressa enfin à la personne qui s’amusait à me trainer comme une vulgaire enfant. Tiens, intéressant de croiser ce genre de spécimen en ce genre d’endroit. Mes sourcils se froncèrent, elle me prenait pour une gamine là ? En quoi ressentait-elle le besoin de me materner ou de me calmer, que sais-je ? S’il y a bien une chose que je ne supporte pas c’est l’infantilisation ; ça me met hors de moi. D’ailleurs pour faire dans le registre Confessions intimes je vous avouerai que si je suis tant accro aux escarpins c’est pour cette raison. Lorsqu’on est petite les gens ont vite tendance à vous prendre pour plus con que vous ne l’êtes, et surtout pour plus faible. Or, je ne suis pas faible. Jamais. « Merci beaucoup, monsieur le libraire aurait très bien pu me le dire. Je veux dire faut pas te sentir obligée de me prendre à ta charge. » En espérant qu’elle comprenne que j’ai pas cinq ans quoi. Je prenais l’un des bouquins qu’elle venait de me conseiller entre mes mains. Râlant, je le balançais sur la pile où il était précédemment posé. « Je m’en fou de ces magazines défraichis, j’vais finir par péter un plomb à être isolée du monde comme une criminelle là ! » Voilà le problème. Ça ne faisait que deux semaines et je m’ennuyais déjà, ceci faisant que l’oppression m'envahissait; je ressentais le besoin de bouger, de voir des amis. Certes ce jeu n’était pas basé sur le pur enfermement car l’accès à la ville était autorisé mais tout ça me donnait plus une impression de Trueman Show qu’autre chose. Je me sentais étouffer, les candidats m’insupportent autant que je les agace. Bref, qu’est-ce que je fou ici ? Je regardais Lennon. Pour elle c’était plutôt le cas inverse, limite si ce n’était pas l’héroïne du feuilleton avec ses histoires d’amour et ses amitiés tordues. « T'es allée botter le cul de Rosaline depuis au fait? » Me tenant aux nouvelles, je prenais un magazine au hasard et commençait à le feuilleter... rapidement.

Nancy. Cette fille était un spectacle de mariachi à elle toute seule. Il suffisait de se bouger les oreilles et de l’observer en pleine crise d’hystérie, autrement dit il suffisait de la regarder à n'importe quel moment de la journée et ainsi ses paroles pourraient facilement passer pour des chants mexicains parlant d'un petit cafard noir et ses gesticulations diverses pour une danse à la mode dans un pays d'Amérique Centrale. Je ne savais pas vraiment pourquoi, mais elle me faisait rien. J'avais l'impression de devoir surveiller une enfant à chaque fois qu'elle se trouvait dans le coin. Elle m'intéressait fortement et j'en ignorais la cause, à mon grand désespoir. Je le tirais vers un rayon plus loin afin qu'elle se calme, qu'elle ne vienne plus à crier comme une folle sur ce pauvre innocent. Je ne répondais pas à sa première remarque, attrapant un livre à mon tour, que je commençais à feuilleter tranquillement avant qu'elle ne laisse, à nouveau, exploser sa colère. Je poussais un soupir d'agacement avant d'attraper ses deux épaules pour éviter qu'elle ne bouge trop . « Arrête de t'emporter contre ce pauvre innocent, garde des forces pour tailler les imbéciles qui traînent avec nous dans la villa et puis si tu en as marre, fais tes valises et ne nous enquiquine plus que veux tu que je te dise hein. » Dès que j'avais terminé mon petit discours de mère poule, voilà qu'elle me posait une question sur Rosaline. Je faisais mine d'être étonné. « Pourquoi tu me demande cela ? Elle est peut-être moche et conne, mais je ne vais pas aller l'accabler en personne pour rien. » Ou pas. Je me cachais derrière une pile de livre, priant pour qu'elle parle d'autre chose.

Ma colère ne se portait pas sur Lennon. Heureusement pour elle. Tout se concentrait sur le libraire. En réalité sa façon de me prendre de haut me donnait envie de lui coller mon poing dans la gueule, histoire qu’elle constate par elle-même que je n’ai pas besoin d’être maternée ; d’autant plus que je suis à peine plus âgée qu’elle, mais là elle n’était pas le sujet de mes frustrations. La vérité à propos de cette fille c’est que je pense avoir clairement cerné sa personnalité. Primo elle a un net complexe d’infériorité, ça j’en suis persuadée depuis la soirée super-héros. Encore que je crache sur Rosaline, c’est avec plaisir, mais qu’elle vienne brutalement aborder le sujet c’est carrément suspect. La peur de ne plus être la « seule » aux yeux de Graham, un type qu’elle connait depuis seulement une semaine et qui lui excite les hormones, parce qu’une pauvre fifille tout droit sortie de sa bergerie a osé lui dire bonjour... c’est flagrant de sa peur d’être inintéressante. D’où son côté salope, j’en suis persuadée. Deuxio elle se réconforte en jouant la super-ménagère qui a réussi sa vie. La scène est on ne peut plus explicite. « T’improvises pas bonne sœur steuplait. Ou va le faire avec quelqu’un de dupe. » Je secouais mes épaules de façon à ce qu’elle dégage ses mains, continuant à feuilleter mon magasine plus tranquillement. Au fond ce n’était qu’un prétexte bidon pour m’occuper les mains, sinon je me remettais à refaire un scandale. Y a que ça à faire ici de toute façon. Mon regard se relevait vers Lennon la plantureuse. Pourquoi je ne voyais que la moitié de son visage au juste ? « Ouais, t’as surtout plus de gueule que de culot. A moins que tu ne te sois rendue compte que ta jalousie était excessive ? Ca sera dur le jour où vous serez officiellement en couple, t’imagines ?! Tu checkeras ses textos et tout. Hard. » Bon ok je suis persuadée qu’ils ne seront jamais ensembles, ils sont trop cons l’un et l’autre à ne pas savoir ce qu’ils veulent, surtout que leur jeu du chat et de la souris finira bien par les lasser. La plupart des gens de la villa étant des commères premier prix il était certain qu’ils lui rabâchaient un par un ses histoires avec le goujat de service, je prenais donc un malin plaisir à en faire aussi partie.