L'approche de la demi-finale provoquait quelques insomnies chez Clarence. Pour être franc, il était pour la première fois véritablement anxieux à propos de l'issue du prime du lendemain. C'était la demi-finale et il jouait sa place. Il n'avait rien fait d'extraordinaire cette semaine, peut-être était-il passé inaperçu auprès du public ? Tant de questions qui le taraudaient aux heures les plus cruciales autrement dit au moment de dormir. Ce samedi matin, il tournait déjà depuis un moment dan son grand lit vide. De faibles lueurs passaient à peine à travers la fenêtre, laissant deviner que le soleil lui-même n'était pas totalement levé. Il ne pouvait plus supporter d'être comme ça à rien faire et il n'avait pas tellement faim. Tout jogging était donc exclu pour l'heure, il ne tenait pas à se rendre malade pour la soirée importante du week-end. Il se leva donc et entreprit d'accompagner le soleil dans son lever. Il enfila un pantalon de jogging gris clair puis sa veste molletonnée assortie, sans rien en dessous. Il grimpa donc dans l'ascenseur tout en craignant qu'il ne tombe une nouvelle fois en panne. Ce dernier avait montré que personne n'avait d'emprise sur lui, l'ascenseur était capricieux et avait laissé de nombreuses fois les candidats dans des postures plutôt coquasses. Mais la machine fut clément avec lui cette fois et Clay parvint jusqu'au toit. Il s'installa comme à son habitude, sur le petit muret, ses pieds nus dans le vide. Il aimait cette sensation de brise sous la plante de ses pieds, loin de lui l'idée d'être fétichiste mais c'était quelque chose de reposant. Il tripota ses cheveux emmêlés d'une main distraite quand il entendit la porte derrière lui grincer. Était-ce un fantôme ou bien un insomniaque comme lui ? Lorsqu'il se retourna et qu'il reconnut cette silhouette qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs cette saison, il sourit: « Sarah. Il faut croire que ça nous angoisse tous... »

La perspective d'être confronté au public aux côtés de Sarah était sacrément sadique et terriblement bien pensée. La production avait fait un coup de maître en réunissant le soit-disant triangle amoureux pour les soumettre aux votes. Ainsi Clarence aurait une réponse rapide quant à l'image qu'il véhiculait à l'extérieur de la villa. Si toutefois il quittait le jeu dimanche soir, les gens avaient préféré la romance de Sarah avec Justin. En d'autres termes, ils ne s'étaient pas attachés à son personnage, du moins ne s'étaient pas reconnus dedans. Il avait conscience d'être parfois décalé dans ses attitudes et sa façon de vivre mais il avait déjà bien montré qu'il ne changerait pas pour une histoire de médiatisation. Même s'il avait découvert qu'il se préoccupait du regard des autres. C'était tout un schéma complexe qui se dessinait dans son esprit au fur et à mesure que l'échéance approchait et quand elle apparut à ses côtés, Clay sut qu'il n'échapperait pas longtemps à l'évidence. Sarah sauta sur l'occasion pour souligner la faiblesse qu'il avait involontairement dévoilé. Oui il n'était pas insensible à tout ça malgré tout. Haussant les épaules, il répliqua d'une voix désinvolte: « Je me moque de ce que tu penses de moi, le principal c'est que je sois grand et beau. » Il avait retenu les adjectifs avec lesquels elle l'avait décrit et préférait éviter le sujet en la charriant avant qu'elle ne le fasse. Tandis qu'il l'observait allumer sa cigarette il fut pris d'une pulsion: s'en saisir pour la balancer par-dessus le toit. Homme à l'hygiène de vie presque modèle, il ne supportait pas qu'on se ruine la santé d'une telle stupide façon. « Et toi c'est le stress qui te donne de si mauvaises habitudes ? » Il la toisa du regard comme un père aurait fait avec sa fille. Il s'empara de la cigarette et la maintenait à l'opposé de Sarah, la laissant se consumer. S'il pouvait la sauver de quelques taffes, c'était déjà ça de gagné. « C'est pas comme ça qu'on commence une journée. » Elle pouvait toujours essayer de la récupérer, elle allait bien devoir se battre pour ça.

Sarah avait beau relever ses paroles comme des remarques blessantes, ils savaient tous les deux combien c'était faux. Clarence détestait avouer que quelqu'un avait de l'importance pour lui. Il n'était pas cependant de ces hommes qui préfèrent faire du mal avant de souffrir mais disons qu'il se débrouillait toujours pour le faire comprendre sans avoir à le dire. Avait-elle eu seulement le droit à un "je t'aime" autrefois ? Peut-être une fois ou deux mais jamais plus. Ainsi donc il se contenta de lui sourire franchement, comme un compromis. Finalement, il détourna la conversation en lui volant la cigarette qu'elle venait tout juste d'allumer. Il avait horreur qu'elle ne fume et elle s'était bien gardée de le faire devant lui, dix ans auparavant, quand il n'avait pas de scrupule à l'écraser par terre, encore non consumée. De ce côté-là, il se plaisait à lui faire la morale, peut-être qu'un jour le comique de répétition fonctionnerait enfin. C'est alors que Sarah fit une comparaison intéressant à propos des mauvaises habitudes. Interloqué, il haussa un sourcil, tout en attendant que le sous-entendu se dévoile mais il fallait croire qu'elle ne faisait jamais attention à ce qu'elle pouvait bien débiter. « A la différence qu'une pratique sexuelle rallonge la durée de vie, contrairement à ton mégot. » Puisqu'elle semblait indifférente à ces menaces, il finit par l'écraser sur le toit avant de la balancer dans le vide devant lui. Il pouvait passer pour un pollueur qui se clamait écologique mais tout était étudié: le mégot allait atterrir dans le jardin et Clarence ne manquerait pas d'aller le jeter quand il rentrerait. Pour l'heure, il y avait plus captivant. Il ne savait pas à quel jeu jouait Sarah mais tout semblait scénarisé comme si elle s'y était préparée. Elle relevait ses cheveux - Dieu sait qu'il aimait quand elle découvrait sa nuque - puis s'approchait de lui pour le toiser sans gêne. Pour le coup, Clay deviendrait presque un adolescent timide totalement déstabilisé par la jeune femme en face de lui. Jouant le jeu, il se pencha vers elle et esquissa un sourire plutôt prétentieux: « Ta journée est déjà bien commencée, tu es à mes côtés. » Un contact, il avait besoin d'un contact. Du plus délicatement dont il était capable, il saisit son visage à deux mains et déposa un baiser doux sur son front. Rien que ce geste fit renaître dans sa mémoire des souvenirs intéressants mais il les ignora du mieux qu'il pouvait. « A la limite, nous aurions pu combattre tes mauvaises habitudes par de nouvelles mais j'ai bien peur qu'on soit observés... » Dit-il ironiquement.

C'était tellement difficile d'être à côté d'elle et de ne pas repasser à toutes ces disputes. Ils auraient du faire leur aventure ensemble, s'allier dans une stratégie comme la plupart des habitants ici, faire front commun mais il fallait croire que la fierté de Clarence lui avait joué des tours. Il aimerait être en finale même s'il n'était pas certain de le mériter. Il n'avait pas joué autant qu'il l'aurait voulu, il n'avait pas cherché à démasquer les loups sinon seulement les éviter. Mais ça n'était pas maintenant qu'il avait envie de commencer à jouer, le moment était bientôt crucial. Vous voyez quand vous sentez que l'atmosphère se charge d'une énergie étouffante, que vous avez l'impression qu'un événement va être imminent et que vous ne savez comment vous y préparez ? Bah c'était un peu ça, pour ça peut-être qu'il avait l'air si niais ? Clarence ne put s'empêcher de plaisanter et de se la péter un peu, histoire de détendre tout le monde. « Avoue, je suis quand même le vieux dont toutes les filles rêvent, peut-être pour ça que je suis allé si loin. » Il souriait d'une façon drôle mais dans sa tête c'était un peu Hiroshima. D'ailleurs son trouble se traduisait quand il saisit son visage pour baiser son front, contraste assez flagrant avec le comique de la situation. Il fallait arrêter d'être aussi stupide Clay et se sortir les doigts du derrière ! Sarah le mettait au défi de lui montrer de quoi il était capable et la tentation était grande malgré les caméras dirigées évidemment vers eux. Mais pourtant il voudrait éviter la crise cardiaque de ses parents devant l'écran si toutefois il assistait à toutes les idées qui lui passaient par la tête. Clay finit par descendre du rebord du toit. Les mains dans les poches, il avança de quelques pas tournant le dos à Sarah. Au diable la raison, il en avait envie au pire il se ramasserait une gifle ! Se retournant vers elle, il rattrapa la distance qui le séparait d'elle. Posant sur le rebord de chaque côté de son corps, le garde-chasse s'empara alors de ses lèvres pour l'embrasser vivement. Tant pis pour le ridicule. Ce matin était un nouveau jour.

Tout ça pour en arriver finalement là ? Pourquoi il ne l'avait pas fait dès le premier prime quand il s'était rendu compte qu'elle partagerait avec lui ces prochaines semaines de The Werewolf Game ? C'était une question qui demeurait encore inélucidée. Dès qu'il s'agissait de prendre en main sa vie professionnelle, Clarence était le premier sur les fronts. Mais dès lors qu'on entrait dans la sphère trouble et dangereuse du privé, il perdait tous les moyens qui faisait de lui un bon garde-chasse. Ca se trouve il lui devait d'être allé loin. Peut-être était-elle un loup qui le défendait à chaque conseil pour ne pas qu'il se fasse nominé. Peut-être était-elle la sorcière qui le sauvait justement de ces nominations ? Après tout qui était réellement certain qu'ils en étaient tous à ce moment de la compétition que de par leur propre jeu ? En fait Clay s'en moquait comme de la dernière petite culotte de Lennon. Il prenait des risques et ceux-ci semblaient s'évaporer en une opportunité qu'il attendait depuis trop longtemps pour ne pas être passé pour un bleu devant toute l'Amérique. Lorsque Sarah glissa les mains dans son cou, ce fut un peu le feu vert que tous les automobilistes attendent. Le coup de pistolet des coureurs, le sifflet des nageurs. Go, go, go résonnait dans sa tête ! Il saisit sa taille à pleines mains tout en continuant de l'embrasser. C'était si bon, ça faisait tellement longtemps et il avait encore l'impression que c'était hier. Comme si rien n'avait changé ou presque. Clay se penchait en avant comme pour ne plus se séparer de ses lèvres même si Sarah basculait lentement au-dessus du vide, il la tenait si fermement que rien n'arriverait. Lui demander pardon était impossible, il était trop fier pour ça. Mais il espérerait que ce baiser suffirait à lui faire comprendre. Il ne s'arrêtait plus de l'embrasser, rendant parfois le baiser plus doux parfois plus passionné pour rattraper le temps perdu. Dans le dos de la jeune femme, le soleil continuait de se lever sinon peut-être aurait-il cru encore à ces rêves de gamin. Enfin, il dut reprendre sa respiration mais il ne rompit pas l'étreinte pour autant. Glissant sa tête dans son cou, sous ses cheveux bruns, Clay put enfin expirer, respirer, enfin revivre quoi.

Il était inutile d'espérer sortir les vers du nez de Clarence durant un interview ou dans le confessionnal à propos de ce sujet-ci, il serait muet comme une tombe. Il ne savait même pas lui-même comment avaient-ils pu se déchirer durant presque toute l'aventure pour se retrouver ainsi tous les deux à s'embrasser innocemment comme si de rien n'était. Dès qu'il l'avait reconnu, l'homme blond avait compris que rien ne serait facile. Depuis qu'il était parti pour le parc national, sans donner de nouvelles après une dispute, il avait en quelque sorte mis tout en œuvre pour oublier ce qu'elle représentait pour lui. Non pas qu'il l'avait oublié pour mieux se concentrer sur sa carrière mais il avait pris soin de la ranger dans un coin de sa tête jusqu'à ce qu'enfin il soit capable de mettre tout ça à plat et d'éventuellement reprendre contact avec elle. La production de The Werewolf Game lui avait mâché le travail et l'avait à la fois rendu plus compliqué en mettant des caméras tout autour de ce qu'il penserait être un moment privilégié. Là il se moquait bien de savoir que Candice allait se frotter les mains de ce spectacle, il était tout simplement à son aise comme rarement il l'avait été depuis son entrée à la villa. Alors qu'il renonçait enfin à l'embrasser, il ne brisa pas pourtant l'étreinte et resta contre elle. Clay ne souriait pas, il planait tout simplement. Si toutefois son visage n'était pas caché par Sarah, sans doute aurait-on pu voir un air niais passé dans ses yeux verts ordinairement concentrés. Quand elle lui dit qu'il lui avait manqué, il resserra juste ses mains autour de sa taille pour la coller un peu plus contre lui. Il n'allait pas lui répondre mais elle interpréterait son silence d'une bonne manière, il osait l'espérer. Glissant quelques baisers discrets sur sa nuque, Clay finit seulement par se redresser, prenant soin de toujours la toucher. « Tu vois que je suis capable ! » S'exclama-t-il d'une voix triomphante pour reprendre le dernier sujet de conversation qu'ils avaient eu. Esquissant un sourire mesquin, il l'attira contre lui pour qu'elle se relève du muret du toit. « Au moins si je t'élimine ce week-end, tu sauras que ça n'est pas terminé. » Clarence déposa alors un bref baiser sur ses lèvres. Que c'était libérateur...