Ft. Clarence


Ce n'était un secret pour personne, Lennon avait une âme d'enfant sous sa carapace de femme fatale, d'allumeuse de pacotille. Elle appréciait jouer les gamines et passer des heures à habiller des poupées ou encore à manipuler de la pâte à modeler pour former de jolies petites saucisses bien droites qu'elle découpaient avec un couteau en plastique par la suite pour les servir en guise de petits gâteaux lors du goûter. Cette après-midi la demoiselle avait envie de replonger en enfance et c'était tout naturellement qu'elle se dirigeais vers l'aire de jeux du village vêtue d'un jeans et d'un sweat à capuche qui ne lui appartenait pas et qui devait très certainement être à Graham. La demoiselle pouvait encore sentir l'odeur du garçon sur le vêtement et une vague de nostalgie s'emparait d'elle. Traînant des pieds elle finissait par arriver à l'endroit de ses convoitises et sans un regard pour les enfants qui se trouvaient là voilà que la jeune femme venait prendre place sur l'une des balançoires libres. Les yeux dans le vague voilà qu'elle allait de gauche à droite, d'avant en arrière et laissant le vent faire voler ses cheveux. Elle avait presque l'air d'un ange, d'une divinité, mais c'étais certains que quelque chose n'allait pas. Elle poussait un bref soupir avant de fermer les yeux.

Clarence s'ennuyait. Rollington avait beau être un village plutôt grand pour la définition du mot, il avait beau regorger d'endroits atypiques à explorer, il ne trouvait pas le moyen de s'occuper. La demi-finale approchait à grands pas et en plus d'angoisser Clay, elle lui avait rendu le pire des services: il allait voir une personne qu'il aimait bien forcément partir. C'était devenu l'unique sujet dans la maison et déjà il ne supportait plus ces discussions. Il avait besoin de prendre l'air. Clarence avait toujours eu une âme d'enfant enfouie en lui. On ne peut pas dire que ses responsabilités professionnelles lui permettaient de décompresser du cerveau et de retomber en enfance. Les gens qu'il côtoyait restaient toujours trop distants, et les animaux n'étaient évidemment pas en mesure de partager son besoin d'enfantillages. En cette fin d'après-midi, il avait donc décidé de creuser un peu plus cet aspect de sa personnalité que peu de gens cernaient. Il avait eu vent de l'aire de jeux non loin de la villa et il trouva que c'était la meilleure occasion. Qui sait ce qu'il pourrait trouver là-bas, ou bien qui ! On avait bien vu Nancy espérer bronzer au plein milieu de la forêt, il s'attendait à tout désormais. Il déambulait les mains dans les poches quand il arriva enfin devant la grille. Avant même qu'il ne franchisse le portail qui protégeait les gamins des dangers extérieurs, il remarqua une silhouette plus grande que les autres sur une balançoire. Juste plus grande de quelques centimètres hein... Lennon le surprendrait toujours. Chaque fois qu'il la rencontrait, c'était dans des circonstances qu'il n'aurait jamais imaginées. Tout en s'approchant d'un pas prudent, il se risqua à dire sur un ton moqueur mais peu méchant: « Décidément, tes rêves de petite fille te rattrapent toujours. » L'épisode de l'église lui revint en mémoire et il ne put s'empêcher d'esquisser un faible sourire. Cette scène avait l'air de passer inaperçue mais chaque fois qu'elle ouvrait un peu trop sa bouche, il se rappelait qu'elle n'était pas tout à fait ce qu'elle prétendait être. C'est alors qu'il s'aperçut qu'elle ne paraissait pas dans son meilleur jour. Sans rien dire, il se glissa derrière elle puis commença à pousser légèrement pour la balancer, délicatement pour une fois. « Une jeune fille aussi populaire que toi seule... Qu'est-ce qu'il t'arrive ? »

Elle était bien là la petite brunette à ne penser à rien et à se laisser aller sur cette maudite balançoire au milieu des gamins qui sautaient dans les sens et qui criaient pour un rien, rendant leurs mères complètement hystériques. Tout comme Lennon n'avait pas envie de faire la vaisselle, elle ne voulait pas parler et encore moins de ce qu'elle avait sur le coeur. Pourtant le destin en avait décidé autrement mettant Clarence sur sa route. L'ancêtre de la villa s'avançait vers tout en lui balançant en pleine figure sur un ton moqueur que ses rêves de petites filles finissaient toujours par la rattraper. A ces paroles la petite anglaise pouvait sentir un pincement au niveau du côté gauche de sa poitrine et sa gorge se serrer alors qu'elle haussait les épaules veillant à ne pas laisser couler les larmes qu'elle retenait depuis si longtemps. « Je n'ai que vingt ans et je réagis bien souvent comme une gamine, donc autant dire que je suis encore une petite fille et que c'est pour cela que mes rêves d'enfant sont toujours bien trop présent à mes côtés. » répliquait-elle d'une petite voix enfantine tout en essayant d'adresser un sourire au doyen de l'aventure alors qu'il s'emparait des cordes de la balançoire sur laquelle Lennon se trouvait afin de la balancer avec délicatesse, sans chercher à la faire descendre de son petit nuage. La remarque qui suivait n'amusait que moyennement la jeune femme et ses lèvres se tordaient en une petite grimace qui en disait long sur ce qu'elle pensait de sa propre popularité. « Il a des moments où la princesse n'a pas besoin de la compagnie de ses fidèles serviteurs et bien pour ma part c'est exactement pareil je n'ai pas besoin de passer toutes mes journées avec du monde sous prétexte que je me trouve dans une émission de télé-réalité en ce moment même. Et toi que fais-tu ici ? Tu cherches à t'éloigner de Rosaline ? De Sarah ? » Et oui Clarence était un véritable tombeur au même titre que Lennon était une garce.

Clarence avait toujours le désagréable sentiment de déranger Lennon dans une quelconque introspection, chaque fois qu'il la trouvait seule. Sa remarque pouvait paraître cynique et moqueuse, mais elle ne reflétait que l'exacte vérité selon lui. La jeune fille sur la balançoire était certainement la personnalité controversée de la saison pour la simple et bonne raison qu'elle était une contradiction à elle toute seule. Il ne la connaissait pas assez pour la juger sur ses actes douteux ou ses paroles mordantes, mais elle dégageait cette aura terriblement apeurée et défensive comme si elle craignait qu'on ne mette à jour sa faiblesse. C'était une jeune femme fraichement entrée dans le monde des adultes et non une héroïne télé aux supers pouvoirs. « On dirait parfois que tu les refoules, permet-moi de te donner un conseil de vieux mais les rêves d'enfants seront ton échappatoire tout au long de ta vie... » Dit-il tout en se saisissant des cordes du siège pour la balancer d'avant en arrière avec douceur. Dans les moments difficiles à supporter où parfois Clarence avait cru perdre l'espoir face à l'immensité de la tâche qui l'attendrait jusqu'à sa retraite, il avait pensé, réfléchi beaucoup, s'était souvenu combien grandir au milieu de ce parc national avait peuplé ses rêves de gosse. C'était bien souvent cette pensée qui lui avait permis d'avancer et aujourd'hui alors qu'il approchait de la trentaine, d'autres rêves d'enfant venaient peu à peu le bousculer. Mais ça jamais il n'en parlerait avant de les avoir réalisé. Il fallait croire que l'horloge biologique tournait aussi chez les hommes. Clay lui demanda alors la raison de cette solitude même s'il s'en doutait. A vrai dire, il voulait la faire parler quand bien même il n'était pas la personne la plus proche d'elle. C'était parfois salvateur de se confier à un étranger. « Si la princesse en a souvent marre de la présence de ses serviteurs, elle souffre bien plus de leur absence. Une absence en particulier peut-être ? » Lennon préféra lui retourner la question, tout en prenant soin de glisser une réflexion qui trouva aisément son chemin dans son cœur troublé. « Je ne fuis personne, non. J'avais juste envie de laisser tomber ses problèmes d'adultes, et de profiter de mes derniers jours à Rollington. » Il gardait un rythme régulier sur le balancement de Lennon comme s'il essayait de la bercer pour l'apaiser. « Ca va faire bizarre de retourner à notre petite vie hein ? »