Clarence avait de moins en moins la notion du temps. Tout semblait passer à une vitesse folle et parfois, on pourrait croire que le temps s'était arrêté. Déjà l'aventure avait bien avancé et désormais c'était des places en finale qui se jouaient. Il ne saurait dire qui des villageois ou des loups-garous menaient la partie mais pour l'heure tout ce qui importait c'était qu'il se levait encore chaque matin dans la dépendance de la gourmandise et qu'il vivait ces moments pleinement. Il avait passé sa journée à la forêt, pour se ressourcer parmi ces arbres paisibles. Finalement il s'était décidé à rentrer avant d'aller faire un tour du côté de la pergola. Il n'y allait pas souvent mais chaque fois un événement important s'y était déroulé: ses retrouvailles avec Sarah, la mission rondement menée avec Justin, bref que des choses qui l'avaient rendu plus fort dans l'aventure. Vêtu de sa chemise rouge à carreaux préférée et de son bonnet fétiche en laine rouge - qui lui avait été offert par Sarah qui connaissait sa passion pour les bonnets, il déposa ses affaires dans sa chambre puis se dirigea à pas lents vers la pergola. Clay n'avait croisé personne sur son chemin à croire que les fantômes étaient plus présents dans la villa ces derniers jours que les candidats eux-mêmes. Enfin, il l'aperçut. Il l'avait soigneusement évité depuis plus de deux semaines à présent et ne savait toujours pas quoi lui dire. En fait, le blond n'avait même pas envie de lui parler même si cette histoire continuait de hanter son esprit depuis. Sarah tripotait machinalement un pendentif qu'il n'eut aucun mal à reconnaître puisque c'était jadis le sien. Il ne savait plus en quelle occasion elle l'avait eue mais il ne l'avait jamais revu et aurait pensé qu'elle s'en serait débarrassée depuis. Sans un mot, il abaissa son bonnet un peu plus sur son front, histoire de dire "que personne ne me dérange" avant de s'installer sur le fauteuil le plus éloigné de celui de la brune. Il ne prit même pas la peine de la saluer puis ferma les yeux pour tenter d'oublier sa présence obsédante.

Clarence savait pertinemment que fermer les yeux et ignorer Sarah ne suffirait pas si toutefois elle souhaitait lui parler. Ils ne s'étaient plus adressés la paroles depuis et c'était mieux ainsi. Il ne tenait pas à voir toute ses discussions revenir dans les chroniques assassines de Candice et puis il en avait assez entendu. Elle avait embrassé Justin ou du moins s'était laissé embrasser. Pour lui c'était clair: plus jamais il n'évoquerait ce qu'il ressentait encore quand elle était assise à côté de lui,ni des questions qui lui trottaient dans la tête depuis qu'ils s'étaient enfin revus. Il restait donc immobile, espérant se faire oublier. Mais c'était bien trop facile si bien que Sarah l'aborda bientôt avec la pire des excuses: son fameux bonnet qu'elle lui avait elle-même offert une décennie plus tôt. Bien sûr qu'il était joli, il ne s'en séparait plus depuis... Et ce à son plus grand regret. Ne daignant pas ouvrir les yeux, il posa une main sur son front frôlant du bout des doigts la douce laine de son bonnet. Que pouvait-il bien dire à ça ? Soudain une idée lui vint à l'esprit. Il ouvrit la bouche pour lâcher d'une voix monocorde: « Joli pendentif. Je mettrai ma main à couper qu'il ne t'appartient pas... » Même si sa phrase pouvait paraitre comme un reproche, il ne souhaitait pas pour autant qu'elle ne le lui redonne. Il ouvrit un œil brièvement pour l'épier mais son regard rencontra le sien. Il était toujours aussi troublant, toujours aussi pénétrant. Des fois il se demandait pourquoi il l'avait quittée puis à d'autres moments pourquoi s'était-il entiché d'elle. Depuis leur entrée à The Werewolf Game, tout avait explosé. Tous ses sentiments avaient été décuplés, toutes ses émotions, ne lui laissant plus le choix que de subir ce qu'il éprouvait sous l'oeil acéré des caméras.

Sarah ne trouvait pas quoi répondre, c'était bien la première fois. En d'autres circonstances, il se serait certainement amusé à la ramener et à la narguer parce qu'il l'avait toujours connue avec ce répondant insatiable. Il avait beau avoir eu parfois le dessus lors de leurs disputes, elle trouvait toujours le moyen d'obtenir le dernier mot et si celui-ci était mordant c'était encore mieux. Malgré tout, ça faisait partie de son charme et Clay était soulagé de remarquer que la notoriété qui se construisait autour d'elle ne la changeait pas pour autant. En repensant à tout ça, il regrettait de ne pas avoir pu partager toute cette expérience avec elle. Ils se l'étaient en quelque sorte promis à leurs retrouvailles sur cette même pergola mais à présent, tout était différent. Elle avait choisi un autre chemin, avait préféré la compagnie rassurante d'un autre prénommé Justin, en bref elle s'était éloignée de lui comme à leur rupture. C'était peut-être le destin après tout. Néanmoins il n'aurait pas pu se préparer à ce qui suivit. Sarah s'excusa. Heu on a le droit de sortir le champagne, de courir dans la piscine tout en criant de victoire non ? Soit, de la retenue. Le visage de Clarence ne bougea pas d'un pouce comme si tout ça ne lui importait peu même si une lueur dans son regard vert traduisait son trouble. Il gardait l'oeil sur elle, ne voulait plus feindre l'indifférence alors que tout ça l'avait vraiment retourné. Elle avait bon dos l'image du garde-chasse dévoué à la nature et lui-même, que rien n'atteignait, que chaque jour renforçait un peu plus la musculature de ses bras. Il restait le même gamin qu'il y a dix ans, ou presque. « Tu n'as pas à être désolée de rien. Tu as fait ton propre jeu, tu es parvenue jusqu'ici seulement grâce à toi. Tu devrais plutôt te vanter de n'avoir eu besoin de personne. » Si ce scandale autour du triangle amoureux n'avait pas éclaté, Clay serait-il toujours là ? C'était un doute gênant qui persistait là. « Tu ne t'es jamais inquiétée de blesser les gens autrefois, ça ne commencera pas maintenant. Je regrette juste qu'on ait pas tenus ce qu'on s'était dit au début. »

Ca faisait seulement quelques minutes qu'ils se parlaient réellement et déjà Clarence sentait que la discussion tournait autour du pot. On se moquait bien de savoir pour telle ou telle raison l'un et l'autre était encore entre ces murs, s'approchant lentement des demi-finales. Le garde-chasse avait juste envie de lui cracher à la figure combien Justin ne la méritait pas, combien elle s'était lâchement faite avoir comme une fille lambda qu'on amadouait avec de belles paroles. Parce que c'était bien de douces illusions dont l'avait bercé son Justin adoré, d'où pouvait-on tomber amoureux d'une fille en l'espace de quelques semaines seulement ? Quand bien même il s'agissait de Sarah et que Clay aurait pu aisément comprendre... « N'est-ce pas toi qui en est la principale auteure de ces histoires ? Si tu ne t'étais pas laissé dragué par ce beau parleur, peut-être qu'on en serait pas là en effet. » Comme d'habitude, elle essayait de lui faire croire -ou comprendre- qu'il n'était pas que tout le monde et qu'elle se souciait quand même de son état. Balivernes, n'aurait-elle pas pu deviner qu'en embrasser un autre alors qu'ils s'étaient quittés en de tels termes le rendrait fou de rage ? Nan, il aurait du sourire et même les féliciter dis donc ! Sarah se recroquevilla alors sur elle-même avant d'avouer qu'elle avait besoin de lui. N'était-ce pas un peu tard maintenant que plus rien ne les unissait sinon des souvenirs matériels qu'ils portaient chacun à cet instant ? Demeurant où il était bien qu'une envie particulière le démangeait, il finit par ajouter: « J'aurais pu être là mais tu n'as pas su me le dire. Il faut croire que sa présence était plus rassurante. »

Sarah se justifiait, clamait qu'elle n'avait jamais voulu que Clarence ne soit mêlé à cette affaire et c'était bien ce qu'il lui reprochait: le simple fait qu'il y ait eu une affaire. Mais ça ne servait plus à rien de tourner en boucle sur ce sujet: tout avait été réglé quand il avait décidé de l'ignorer et de la laisser à ses histoires de coeur. Si Candice ne s'était pas penchée sur son cas depuis deux primes maintenant, il s'en réjouissait et n'allait pas retomber dans ce cercle infernal. « Je ne te dirai pas que tu es la plus grande idiote sur terre si tu estimes que ton attitude était normale et volontaire. » En fait oui il pensait qu'elle n'avait pas réfléchi, qu'elle avait agi trop vite, qu'elle s'était faite avoir trop vite. Il repensait surtout à combien de temps lui-même avait mis avant de la conquérir. Il avait ramé pendant des semaines parce que Sarah avait l'exacte réputation d'être insaisissable et peu crédule. Et puis Justin était arrivé comme une fleur avec son accent français et ses déclarations romantiques et elle lui avait accordé ce baiser dont il avait parfois rêvé encore aujourd'hui. Non il n'admettrait pas qu'il souhaitait être à sa place, il refusait sa jalousie et préfèrerait perdre celle à laquelle il pensait encore plutôt que de confesser des faiblesses devant un continent entier. Sarah finit par se lever avant de détacher sa chaine et de le déposer devant lui. Ainsi c'était définitivement conclu ? Tous deux savaient que si elle tournait les talons sans son pendentif, c'était le symbole de toute une histoire à laquelle elle renonçait. Mais cette histoire avait-elle seulement réellement fini il y a 10 ans ? « Pourquoi as-tu attendu ? Pourquoi n'as-tu pas débarqué dans mon parc en grande effrontée pour me dire que je te manquais ? Je ne suis pas un homme qui attend, Sarah, tu le sais. Et encore moins quelqu'un qui court après les autres. » D'un geste lent mais terriblement difficile, il fit glisser son bonnet rouge de sa tête avant de lui tendre. « Si vraiment tes illusions te sont insupportables, si tu n'es pas capable de comprendre, va-y. Reprend ça. »

En fait, Clarence n'admettait pas sa défaite. N'avait-il pas dit dans son interview de casting qu'il était désespérément mauvais joueur ? Justin s'était également joué de lui tandis qu'il courtisait assidument son ex-copine après lui avoir soit-disant demandé son consentement. Lors de la mission qui consistait à faire croire à ce coup de foudre masculin, ils avaient tous les deux convenus de boire à outrance histoire de rendre la tâche plus facile. Le garde-chasse avait cru voir naître une certaine complicité lors de cette mission mais Justin s'était juste servi de cette situation pour lui avouer son baiser avec Sarah. Ils étaient tous les deux sacrément éméchés et évidemment l'annonce était passée sans aucun problème. Clay n'y avait pas cru, il avait pensé à une petite combine pour rendre le baiser entre eux deux moins difficile mais Justin avait juste profité de la situation. Aujourd'hui, il refusait d'être dans la même pièce que lui au risque qu'il ne subisse le même sort que le miroir, tant pis si ça lui coûtait sa place au jeu. Alors quant à savoir s'il était réellement amoureux de Sarah, ça il s'en moquait éperdument en plus d'en douter fortement. Sarah préféra abandonner, signant l'arrêt du combat en lui rendant son pendentif. Il n'avait plus envie de le récupérer, cet objet n'apporterait que des souvenirs douloureux et intempestifs. En guise de protestation et provocation, il lui tendit son bonnet. Bien sûr Clay savait l'effet que ça engendrerait chez Sarah. Et celui-ci ne se fit pas attendre. « Tu crois vraiment que je te prête quelque chose pendant des années et que j'espère te le reprendre après ? C'était une façon terriblement gamine pour que tu n'oublies pas. Je n'en veux pas. » Se maîtriser, rester digne et mature. Il avait bien du mal et à cet instant précis, il se sentait redevenir le garçon de 20 ans, utopique et rêveur qu'il avait été autrefois. Surtout quand Sarah lui confia enfin qu'elle l'aimait toujours. Mais c'était trop facile qu'il lui dise que lui aussi. Combien de temps avait-elle attendu quand ils étaient ensemble pour qu'il daigner lui dire les mots tant attendus ? C'était hors de question que les caméras saisissent cette scène. « C'est une combine pour m'amadouer ? » Décréta-t-il, méfiant. Puis il réenfonça son bonnet sur son crâne, ne laissant dépasser que quelques mèches longues sur sa nuque et devant son front. Oui Clarence était mesquin. Tout ça avait été savamment orchestré pour qu'elle s'ouvre enfin, bien sûr qu'il tenait trop à ce foutu bonnet pour lui rendre ! Sans un mot, il lui tendit la main pour qu'elle s'assoit juste devant lui sur le siège où il était. Il n'était pas prêt à pardonner, pas prêt d'oublier mais si seulement les tensions pouvaient s'apaiser pour repartir sur de nouvelles bases, peut-être serait-il plus apte à se détendre enfin.