La moitié de la sélection est passée. Par une providence des plus étonnantes, Clay avait passé la première moitié du casting, il fallait croire qu'être un trublion venu d'une autre planète attirait la curiosité. Dès le lendemain, on lui avait donné l'adresse d'un hôtel afin de réunir les candidats. Clay soupçonnait que ce soit une stratégie de la production pour les observer en douce et définir les quelques personnalités qui sortiraient du lot. Il ne s'inquiétait pas pour ce genre de manigances, il était déjà bien assez heureux d'en être à ce stade du casting. Il croyait de plus en plus en ses chances et c'était tout guilleret qu'il s'était présenté à l'hôtel le matin même après plusieurs heures d'avion et de taxi avec un chauffeur muet comme une tombe. Il débarqua à l'hôtel, vêtu d'une chemise à carreaux rouges, les cheveux à l'état sauvage, des valises dans les deux mains mais aussi sous les yeux. Il se sentait quelque peu perdu dans ce monde, lui d'ordinaire si habitué à sa nature paisible. Tout le monde courait dans tous les sens et personne ne s'intéressait à lui pour répondre à ses multiples interrogations. A l'accueil, une cinquantenaire agitait la main en sa direction, sans quitter son combiné, pour le sommer d'attendre. Mais comment faire preuve de patience en une telle occasion ? Clay laissa tomber lourdement ses deux sacs gonflés à bloc sur le sol puis parcourut le hall d'entrée de ses yeux clairs. Une merveille de luxe. Il se sentait comme un enfant qui découvrait enfin les lieux fantastiques qu'il n'avait lu que dans les livres... Une silhouette juste à l'extérieur, une cigarette entre ses deux doigts, attira son attention. Enfin une employée en pause qui saurait le renseigner. Elle semblait rêveuse et déconnectée du monde. Il avait hâte de découvrir sa chambre, de sauter sur le lit et surtout de prendre une bonne douche. Il avait non seulement l'allure d'un ours mais l'odeur également n'était pas loin. Le stress quoi. Il s'approcha de la jolie blonde avec un sourire des plus détendus et demanda le plus simplement du monde d'une voix candide: « Excusez-moi mademoiselle. Je viens d'arriver et je souhaiterai savoir quelle chambre on m'avait attribué. Votre collègue semble débordée. » Une lueur malicieuse et gênée à la fois se dessina sur son visage tandis qu'il désignait de la tête la porte de prison qui était toujours pendue à son téléphone.

Pourquoi ont-ils souhaité nous enfermés si tôt ? Ils auraient simplement pu nous demander de nous taire et de rester chez nous bien au calme. Mais non, ça leur paraissait trop risqué ce genre de compromis. Soit, j'suis pas du genre à me plaindre, je me pose beaucoup de question mais je n'me plains pas. Tout le monde sait que les gens qui se plaignent sont exaspérant. Enfin, c'est ce que moi je pense d'eux. En attendant, j'suis dans cet hôtel, toute seule. Parce que je n'ai pas encore rencontré d'autres personnes, ça me semble logique. Vu mon caractère, je risque de mettre un certains temps avant d'aller vers ces gens qui me semblent pour la plus part assez jeunes et plein de vie. Eux, ils sont clairement à leurs places. N'ayant aucun autre moyen de me distraire, j'ai repris une de mes mauvaises habitudes, la cigarette. J'me suis assise devant l'hôtel et je profite de mon bâton de nicotine. Soudainement, une voix me sort de mes pensées, me surprend même et dans un réflexe, j'en jetterai presque ma cigarette. Puis je me rappelle qu'ici, je n'ai pas à me cacher quand je fume, j'fais ce que je veux parce que personne ne me connait et c'est très bien ainsi. « Excusez-moi mademoiselle. Je viens d'arriver et je souhaiterai savoir quelle chambre on m'avait attribué. Votre collègue semble débordée. » Je me redresse, tire une taffe et recrache un nuage de fumée. « Sans vouloir vous paraître inutile, j'pense que vous pourrez revenir me poser cette question le jour où je travaillerai ici. J'vais vous donner un indice, pas de badge sur ma poitrine. » Hop, j'lui balance un sourire pour que ma remarque passe correctement, j'suis pas là pour me faire des ennemis mais le contact avec les autres ça n'a jamais été mon fort. J'balance ma clope, l'écrase avec mon pied et la ramasse. Ouais, j'pollue pas la nature moi. « Un autre potentiel candidat ? C'est quoi votre prénom à vous ? »

Clay avait toujours été doté d'une perspicacité étonnante quand il s'agissait des animaux qu'il avait à charge. Il pouvait prévoir une naissance, anticiper une bagarre de territoire, même reconnaitre les espèces les plus semblables. Mais dès qu'on l'immergeait dans la jungle infernale du monde moderne et urbain, il était totalement perdu. Il se sentait comme à la foire, passant de stand en stand sans savoir l'épreuve qui l'attendait. Tout ce qu'il souhaitait c'était d'obtenir la surprise et de s'amuser. Il avait hâte de rencontrer ses éventuels futurs compagnons et d'en apprendre d'ores et déjà plus sur eux. La partie commençait tout de suite malgré les apparences, l'apparence bon enfant et un peu rustre de Clarence était là pour duper mais pour sympathiser. Il fallait croire que son entrée sur le terrain affrontait déjà un couac quand la jeune employée à laquelle il avait cru justement s'adresser n'était autre qu'une cliente elle aussi. Confus, il passa sa grosse main dans ses cheveux blonds puis esquissa un faible sourire. « Oh je suis désolé. Pour ma défense, on a qu'à dire que vous aviez l'air aussi sophistiquée qu'une employée ? » Il ne savait pas à qui s'adresser et se moquait de savoir si son humour potache allait faire son chemin jusqu'au cœur de la demoiselle. Celle-ci écrasa sa cigarette avant de la ramasser: une femme soucieuse de l'écologie, elle venait de marquer plusieurs dizaines de points sur le tableau. Elle l'interrogea alors sur son identité. Tiens elle faisait elle aussi partie du lot ! Soudain soulagé, il bomba fièrement le torse, particulièrement triomphant d'avoir passé cet étape des sélections puis acquiesça de la tête: « C'est exactement ça ! Je m'appelle Clarence mais appelle-moi Clay, ça fait moins papy de la bourgade. A qui ai-je l'honneur ? » De ses yeux clairs, il scanna les alentours à la recherche de silhouettes qui correspondraient potentiellement au physique qu'il se faisait des futurs stars de la télé-réalité. « Tu as déjà rencontré d'autres personnes ici ? »